Trois sociologues ont historiquement inscrit la notion de « lien social » comme curseur pour appréhender la vie en société.
Le premier, Emile Durkheim, introduit l’expression de cohésion sociale, pour caractériser une société dans laquelle la solidarité entre les individus est fortement ancrée. En ciblant une sociologie du fait commun, et en s’intéressant au processus davantage qu’à l’état, le second, Georg Simmel, rompt avec la tradition positiviste de l’époque. Du lien social comme entité conceptualisée (et donc figée), on passe à l’étude des liens sociaux, comme dynamique perpétuellement renouvelée entre les hommes. Enfin, le troisième, Norbert Elias, met en évidence la complexification des interdépendances humaines dans les sociétés modernes.
Ces références historiques nous permettent de repositionner le lien social comme essentiel à la compréhension de ce qui fait société entre les hommes. Les hommes sont inexorablement reliés entre eux par le jeu de groupes d’appartenance et d’interdépendances, d’autant plus nombreux et complexes que l’organisation collective dans laquelle ils évoluent leur confère une plus grande autonomie. Dès lors, la solidarité apparaît comme fondement de toute organisation humaine.

1 Emile Durkheim
Durkheim, sociologue allemand de la seconde moitié du 19ème siècle s’intéresse au paradoxe suivant : plus l’homme gagne en autonomie, plus il est étroitement dépendant de la société dans laquelle il vit. Il analyse ce paradoxe apparent comme le résultat de la transformation de la solidarité sociale en lien avec le développement « toujours plus considérable » de la division du travail. Pour Durkheim en effet, deux types de solidarité se succèdent historiquement :
· La solidarité mécanique, ou par similitude, caractéristique des sociétés traditionnelles dans lesquelles les individus sont peu différentiés les uns des autres (mêmes sentiments, mêmes valeurs, mêmes croyances). Dans ce type de société, l’individu est comme absorbé par le groupe, et ploie sous le poids de ce que Durkheim appelle la « conscience collective ».
· La solidarité organique, caractéristique des sociétés modernes, fondée sur la complémentarité entre les individus, c’est-à-dire l’interdépendances des fonctions, chaque individu étant censé occuper une position sociale précise. Dans ce contexte, l’individu acquiert une marge d’interprétation plus large pour délimiter son système de valeurs et le contrôle social diminue. Plus que la conscience collective, c’est la morale laïque qui sert alors de morale unificatrice.
Pour Durkheim, le passage à la solidarité organique dans les sociétés modernes n’implique nullement une diminution des liens entre les hommes. Au contraire, leur complémentarité fonctionnelle les oblige à coopérer entre eux, et induit un sentiment d’utilité sociale, chacun apportant sa participation au système social.
Reste que, même si elle change de nature, la solidarité, c’est-à-dire « une morale partagée par tous » (Paugam), constitue toujours la base de toute vie collective. (étymologiquement=lien unissant entre eux les débiteurs d’une somme).
Référence : Durkheim, Emile, De la division du travail social, Paris, Presse Universitaire de France, 1893

2 Georg Simmel
Pour Simmel, sociologue allemand de la seconde moitié du 19ème siècle, l’homme est avant tout un être de liaison, qui sépare le relié et relie le séparé. Pour lui, le social est d’abord un flux qui naît des échanges réciproques entre les individus. Ce sont ces échanges qui guident les intérêts des individus, lesquels les définissent de manière conjecturelle. Pour Simmel, il y a donc un jeu permanent de pont (capacité de l’homme à associer ce qui est dissocié) et de porte (capacité de l’homme à dissocier ce qui est uni), qui se déploie de manière concomitante pour faire de la société « quelque chose que les individus font et subissent à la fois ».
Il rejoint Durkheim sur le fait que dans les sociétés modernes, les individus se caractérisent à la fois par une interdépendance mutuelle et par une conscience de leur individualité plus forte. Il met en outre en évidence la diversification des liens sociaux que les individus organisent et distingue ainsi :
· Une organisation des groupes d’appartenance par cercles concentriques, dans laquelle l’autonomie individuelle reste limitée.
· Une organisation des groupes d’appartenance par juxtaposition, dans laquelle chaque cercle conserve donc son indépendance par rapport aux autres, ce qui assure alors plus de liberté à l’individu.
Référence : Simmel Georg, Sociologie et épistémologie, Paris, PUF, 1981

3 Norbert Elias
Dans une thèse soutenue en 1939, Elias s’intéresse aux formes d’interdépendance sociale en Europe occidentale depuis la période médiévale, et plus précisément aux mécanismes de régulation des émotions et des pulsions au cours des siècles. Selon lui, il y aurait passage d’un processus de prohibition extérieure à un processus d’autocontrainte, sous l’effet de la concomitance de deux éléments :
· Une différentiation conséquente des fonctions sociales
· Une monopolisation de la violence par l’Etat
Il constate également que la conscience par les individus de leur individualité est d’autant plus forte que leurs liens d’interdépendance sont poussés, et il introduit le concept de configuration pour appréhender la complexité et l’imbrication des liens entre les individus.
Ainsi, à côté des interdépendances universelles, qui caractérisent le besoin vital de chaque individu à interagir avec ses semblables sur le plan social, Elias introduit la notion d’interdépendances affectives, susceptibles de satisfaire les besoins de stimulations émotionnelles. Ainsi, pour Elias, aux interdépendances impersonnelles, liées à la division du travail et à l’interdépendance organique des individus, viennent s’ajouter les interdépendances émotionnelles, de référence symbolique, tout aussi importantes pour comprendre le lien social.
Référence : Norbert Elias, La société des individus, 1ère édition en allemand, 1987, Paris, Fayard, 1991.
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